21 February 2006

Le Kenya tenté de rouvrir la chasse

Liberation
Faune. Nairobi voudrait réintroduire les safaris pour éliminer les animaux en surnombre.
par Hilaire AVRILQUOTIDIEN : mardi 21 février 2006
Nairobi correspondance

Le Kenya ne sait plus quoi faire de ses animaux sauvages. Plusieurs réserves sont même débordées par une surpopulation d'éléphants et d'antilopes. A tel point que les gardes forestiers du Kenya Wildlife Service envisagent de lever l'interdiction de chasser, décrétée en 1977.

Officiellement, il s'agit de réguler le surpeuplement de certaines réserves, qui finit par provoquer des nuisances. Pas méchantes lorsqu'il s'agit d'antilopes affamées qui s'échappent pour dévorer les potagers, mais plus préoccupantes dans le cas des éléphants. Exemple, le parc naturel de Shimba Hills («collines des lions»), dans le sud du pays, a une capacité d'accueil de 200 éléphants mais en abrite près de 700... Les pachydermes, affamés et à l'étroit, s'échappent fréquemment du sanctuaire pour aller saccager les fermes alentour. La pose ­ coûteuse ­ de barrières électrifiées n'y fait rien : les éléphants ont compris comment les arracher à coups de défenses et savent les franchir en évitant de poser le pied sur les câbles. Le seul moyen de les contenir, c'est de les abattre.
Braconnage. Aujourd'hui, seule la brigade Problem Animal Control est habilitée à supprimer les animaux devenus dangereux. Toute autre personne surprise en train de tuer une bête sauvage encourt une peine de sept années de prison. Le Kenya pourrait donc revenir sur ce principe. Certainement pas dans les semaines qui viennent, puisque le gouvernement est paralysé par une vague de scandales liés à la corruption, mais sans doute très vite, une fois la situation politique stabilisée.
Car réautoriser la chasse limitée et encadrée répondrait à une logique historique mais surtout financière. Jusqu'en 1910, pas moins de la moitié des revenus publics provenait des indemnités de chasse et de la vente de l'ivoire. La partie de chasse organisée en 1909 pour Theodore Roosevelt et son fils Kermit avait mobilisé 265 porteurs, bringuebalant argenterie, bibliothèque et coffre à spiritueux à travers la savane... Les safaris de luxe qui ont inspiré à Hemingway de nombreuses beuveries et quelques belles pages sont donc une source de devises difficilement résistible. En 1977, la dernière année de chasse autorisée, la manne perçue par le gouvernement kényan s'élevait ainsi à 20 millions de dollars ­ près de 67 millions d'euros actuels. Aujourd'hui, le secteur du tourisme représente près de 13 % du PIB.
Ce sont ces perspectives financières qui ont notamment poussé Julius Kipng'etich, directeur du Kenya Wildlife Service, à annoncer, en septembre dernier, la possible révision de la politique de conservation de la faune. Les autorisations de chasses payantes pourraient permettre une meilleure gestion des parcs naturels, qui manquent cruellement de personnel et d'équipement. L'Afrique du Sud, par exemple (lire ci-contre), empoche ainsi 138 millions d'euros par an. Mais, de l'avis des sceptiques, le modèle sud-africain omet un facteur essentiel : la corruption. L'interdiction totale de toute chasse ­ mis à part certains gibiers à plume ­, décrétée par le président kényan Daniel Arap Moi en 1977, résultait justement de l'incapacité des autorités à mettre un terme au braconnage qui a décimé les éléphants et quasi exterminé les rhinocéros du pays.
Hélicoptères. Les victimes de la «guerre des braconniers» qui a sévi dans les années 70 et 80 n'étaient pas toutes des animaux. Armés de fusils d'assaut Kalachnikov, des «bandits somaliens» venus du nord du pays auraient ainsi massacré plus de 15 000 éléphants pour leur ivoire, bon nombre de gardes-chasse et quelques touristes... Dans Tsavo, le plus grand parc du pays, les autorités utilisaient deux hélicoptères de combat Hughes, du même type que ceux dont les Américains se servaient au Vietnam, pour venir à bout des gangs de braconniers.
Le conflit s'est soldé par la victoire du gouvernement de Moi, célébré en grande pompe lorsque le Président fit brûler devant les caméras du monde entier l'ivoire de plus de 1 800 éléphants illégalement abattus. Quelques mois plus tard, la convention internationale sur le commerce des espèces en voie de disparition interdisait toute vente d'ivoire dans le monde et le cours s'effondrait, passant de 6 000 dollars le kilo à... 10 dollars en 1993.

Sur le même sujet: Les lions pas tirés d'affaire

No comments: