06 July 2006

L'okapi est toujours tapi dans les forêts du Congo

Liberation / REUTERS
Par Blandine FLIPO
QUOTIDIEN : Jeudi 6 juillet 2006 - 06:00

Kinshasa de notre correspondante

Le 9 juin, le WWF, organisation de protection de la nature, a créé l'événement en République démocratique du Congo (RDC) : l'okapi serait «de retour»dans le parc national des Virungas, dans la région du Nord-Kivu, à l'est du pays. Une équipe de scientifiques chevronnés aurait découvert des crottes, suggérant la présence de 17 spécimens. L'okapi, sorte de girafe ressemblant à un zèbre, est l'animal national de la RDC. On ne l'avait plus vu dans les Virungas depuis au moins cinquante ans, alors que cette espèce, unique au monde, avait été découverte ici. L'idée que le mammifère mythique puisse avoir posé un sabot dans cette région blessée, a été vue par toute la presse comme une fabuleuse note d'espoir, à quelques semaines des premières élections libres de son histoire. D'autant plus que ce retour s'inscrit dans une amélioration globale de la situation de la faune sauvage dans le parc des Virungas.
Potentiel touristique.Créé en 1925, près du Rwanda, ce parc est le plus ancien d'Afrique, et parmi le plus riche en diversité d'espèces, particulièrement en grands mammifères: antilopes, buffles, éléphants, hippopotames... Mais le braconnage et la guerre ont eu raison peu à peu de cette richesse. Entre 1996 et 2002, la RDC a connu une guerre meurtrière (plus de 4 millions de morts) à laquelle ont participé plusieurs armées étrangères, rwandaises et ougandaises en tête. Les animaux ont été massivement massacrés, victimes de braconnages et ont été revendus. Certains se sont enfuis dans des contrées moins hostiles. Estimés à 2 300 individus dans les années 60, les éléphants n'étaient plus qu'une centaine en 2003 dans le parc. Seule exception : les fameux gorilles des montagnes, si chers à Diane Fossey. Eux aussi ont subi le braconnage, mais leur potentiel touristique est tel que les miliciens ont freiné l'hémorragie. A 400 dollars le ticket pour aller voir les gorilles, nombreux sont les braconniers à s'être métamorphosés en guides pour touristes. Du 6 au 12 juin, l'ONG Wild Life Conservation Society (WLC) a fait un inventaire des animaux du parc. «On a observé une progression nette de la population des éléphants, des buffles. Sauf des hippopotames»,dit Deo Kujira Kwinja, responsable de l'organisation américaine à Goma. En dehors de l'okapi, WWF a aussi découvert des traces de bongo, une antilope rare des forêts. Pour les deux organisations, l'une des raisons de cette amélioration réside dans la lutte intense contre le braconnage mené par les gardes du parc de l'Institut congolais de conservation de la nature. Depuis 2002, la communauté internationale s'est mobilisée pour leur verser un salaire. Leur solde versée par l'Etat ­ à peine 1 dollar par mois ­ ne leur donnait pas les moyens d'agir.
Car être garde forestier dans le parc des Virungas est une activité à hauts risques. Depuis 1996, plus de 100 gardes ont ainsi été tués par des braconniers, mais aussi par des éléments armés. La situation politique reste très instable : en janvier, une brigade de l'armée s'est rebellée. Elle a attaqué les populations en bordure du parc, et mis en déroute la brigade installée à l'intérieur. Finalement, ils se sont retirés dans les montagnes, où se trouvent également les miliciens hutus rwandais, présents sur le sol congolais depuis 1994. Ces derniers s'adonnent aussi au braconnage. Parallèlement, des réfugiés rwandophones se sont installés dans le parc faute de place ailleurs. Malgré les trésors de diplomaties de la part d'ONG, les gens refusent de partir car ils vivent du commerce du charbon, activité certes rentable, mais qui provoque une déforestation massive.
Pas farouches.En dépit de cette instabilité, les habitants proches du parc ont senti le vent de l'espoir. Des Pygmées, habitués des forêts impénétrables et grands spécialistes de la chasse, sont venus prospecter. Pour beaucoup de personnes, leur présence signifie qu'au parc des Virungas, les animaux commencent à revenir, et que la vie va reprendre. Dans la savane, il n'est pas rare dorénavant d'apercevoir des antilopes. Pas trop farouches, elles se laissent approcher à moins de dix mètres, avant de détaler majestueusement. Selon WLC, avec plus de 13 000 individus, cette espèce appelée «cob de Buffon» a pratiquement retrouvé son niveau de population d'avant les années 60. «On n'en avait plus vu depuis des années»,témoigne un habitant, émerveillé. Bien sûr, il faudra encore du temps. Jadis, le parc des Virungas regorgeait tellement d'animaux que Mobutu y avait installé un hôtel luxueux, où il recevait ses amis présidents pour des safaris grandioses. Aujourd'hui, les paillotes sont en ruine, et elles abritent la 2e brigade de l'armée congolaise.

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