19 February 2007

Le Kenya, une destination écotouristique modèle

Le lundi 19 février 2007
François Cardinal
La Presse, Canada

Amboseli National Park, Kenya
Aussitôt débarqué du minibus qui m'a (péniblement) transporté de Nairobi, capitale du Kenya, au campement Porini, non loin du Kilimandjaro, je suis accueilli par un groupe de guerriers massaïs.

Ils m'entourent, vêtus de leur pagne rouge à carreaux, armés de leur bâton de pasteur et parés de mille bijoux. L'air traditionnel qu'ils entonnent est lancinant et ponctué de nombreux sauts, une prouesse qui a pour but de mesurer la virilité de chaque danseur.La chorégraphie terminée, les guerriers s'éloignent. «Ils repartent dans leur village», m'informe Edward, le Massaï qui sera mon hôte durant la durée du safari.

Mine de rien, le départ des Massaïs pour leurs minuscules villages construits de branches et de boue est un signe qui ne trompe pas: mon safari sera bel et bien «écotouristique».Les danseurs qui me quittent ont embarqué de leur propre gré dans cette mise en scène; ils en profitent financièrement tout en pouvant vaquer à leurs occupations, sans jamais se sentir agressés dans leurs traditions.Mieux encore, m'explique Edward, ils ont été mis à contribution dès les tout débuts du projet de mise en place d'une zone de conservation. Si l'entreprise Gamewatchers peut ici accueillir les touristes, c'est parce qu'elle le fait dans le respect des traditions, de l'environnement et des animaux. Et surtout, parce que les Massaïs lui ont donné la permission de le faire, après deux ans d'intenses négociations.

La définition
Selon l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), l'écotourisme est un segment du tourisme durable qui se définit comme «satisfaisant aux besoins présents des touristes et des régions hôtes, tout en protégeant et en mettant en valeur les opportunités pour le futur».Tout est là dans le safari que j'entame, dès le lendemain matin. Le guide est accompagné en permanence d'un traqueur, un Massaï qui habite un village à proximité. La Land Rover dans laquelle nous cherchons la trace des animaux dans le parc national d'Amboseli ne quitte jamais le sentier tracé. Le conducteur ne fait jamais de gestes brusques avec le véhicule afin de ne pas effrayer les animaux.C'est d'ailleurs ainsi que l'on réussit à s'approcher de deux léopards, une «prise» aussi rare que le grand rhinocéros dans ces contrées. En comparaison avec ces animaux, les éléphants, les hippopotames ou les lions sont des «proies» faciles pour les photographes.Autre point apprécié du touriste et de l'écologiste: les déplacements se font toujours en petits groupes. Les repas se prennent loin des foules. Et le campement n'accueille au maximum que 12 personnes. Autant de points conformes à l'écotourisme qui, selon la définition, se prête au voyage solo ou en petits groupes.Le campement Porini d'ailleurs, où je logerai quelques nuits, est un parfait exemple de site écotouristique. De simples tentes en coton ont été montées, des sentiers en cailloux blancs ont été improvisés (les serpents fuient ces petites roches) et la minuscule boutique d'art massaï n'est qu'un abri de fortune construit avec quelques branches.Si Gamewatchers souhaitait lever le camp demain matin, il ne resterait sur place absolument aucune trace de son passage. «Tout ça plaît aux populations locales qui n'ont pas hésité à se joindre au projet et à accueillir les touristes», précise Robert Wanjohi, mon guide kényan.

Une tendance
Loin d'être un cas isolé, cet exemple illustre bien le virage qu'a pris depuis une dizaine d'années l'Afrique, en particulier le Kenya dont la popularité a vite chuté avec les attentats de 2002 contre l'ambassade américaine.Après avoir vu les touristes fuir vers l'Afrique du Sud, ce pays a choisi de jouer à fond la carte «écotouristique». D'autres pays comme la Tanzanie, le Rwanda et Madagascar tentent également d'attirer les touristes par ce «branding», Et les chiffres leurs donnent raison.Si l'utilisation de l'étiquette «écotourisme» a ouvert la porte à bien des abus depuis les années 90, un grand ménage est actuellement en cours. Une organisation a été mise sur pied en 1996, Écotourisme Kenya, puis une certification. Preuve du sérieux de l'organisme, seules 31 entreprises ont la certification bronze. Ni l'argent ni l'or n'ont encore été attribués.Mais cela ne saurait tarder. Le virage au Kenya est amorcé et les tendances semblent démontrer qu'il ne s'agit pas d'une mode passagère, mais bien d'un virage durable.

Écotourisme ou tourisme durable?
Le terme de tourisme durable est plus large que celui d'écotourisme. Si les deux englobent des notions comme le tourisme de nature et l'importance de la protection de l'environnement, l'écotourisme est une étiquette plus «exigeante».
Selon la Déclaration de Québec sur l'écotourisme, ce concept comprend les principes suivants :«il contribue activement à la protection du patrimoine naturel et culturel;«il inclut les communautés locales et indigènes dans sa planification, son développement et son exploitation et contribue à leur bien-être;«il propose aux visiteurs une interprétation du patrimoine naturel et culturel;«et il se prête mieux à la pratique du voyage en individuel ainsi qu'aux voyages organisés pour de petits groupes.

Selon divers sondages
Plus des deux tiers des voyageurs américains et australiens considèrent que la protection de l'environnement est importante. Les touristes anglais sont d'accord à 90 %.Plus de 70 % des voyageurs en provenance de ces trois pays seraient prêts à payer jusqu'à 150 $ de plus pour un voyage de deux semaines dans un hôtel soucieux de l'environnement.En Angleterre, 87 % de la population estime que leurs vacances ne devraient pas nuire à l'environnement.Près de quatre Britanniques sur 10 accepteraient que leur facture soit majorée de 5 % pour que leur voyage ne soit pas dommageable pour l'environnement.

L'écotourisme : une manne pour l'Afrique
Aussi surprenant que cela puisse sembler, c'est à Québec, en 2002, que l'Afrique a compris l'importance de l'écotourisme pour son développement futur.
Réunis dans la capitale pour le premier Sommet mondial de l'écotourisme, 133 pays signaient alors une déclaration qui jetait les bases d'une définition élargie de l'écotourisme. Pour la communauté internationale, l'écotourisme devait dorénavant se faire au «bénéfice des communautés locales».
D'une moindre importance pour les Occidentaux, cette précision est fondamentale pour les pays africains où les populations sont plus souvent victimes que bénéficiaires des retombées touristiques.L'écotourisme arrive ainsi à point nommé pour de nombreuses communautés touchées par l'affluence sans cesse grandissante de touristes. D'autant que par définition, l'écotourisme a également pour but de diminuer la pauvreté.
Lors de la clôture du sommet tenu à Québec, d'ailleurs, le représentant de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), Dawid de Villiers, soutenait qu'il «reste encore beaucoup de chemin à faire, notamment pour faire reculer la pauvreté ce à quoi l'écotourisme peut contribuer».
Il y a quelques semaines, l'OMT allait plus loin encore, soutenant que 2007 sera une année clé pour renforcer le tourisme en tant qu'outil de développement durable et de lutte contre la pauvreté.
Affluence en hausseIl s'agit d'une excellente nouvelle pour le tourisme, une des activités qui connaît le plus fort taux de développement dans le monde, et pour l'Afrique, qui en profite largement.Au cours des 50 dernières années, les déplacements de touristes ont bondi de 25 à 806 millions. Et si on regarde plus particulièrement les années récentes, on observe que l'Afrique se situe au premier rang des régions du monde qui connaissent la plus forte croissance touristique (il n'existe pas de chiffres précis sur la place qu'occupe l'écotourisme).
Et selon l'OMT, c'est grâce à l'Afrique subsaharienne si les chiffres sont si imposants, tout particulièrement le Kenya et l'Afrique du Sud, deux destinations écotouristiques de prédilection.Une manne qui sème l'inquiétudeSi la manne touristique fait le bonheur de plusieurs Kényans, elle suscite aussi des craintes. En témoigne la couverture journaliste d'un événement assez banal en novembre : la classification d'un parc national du Kenya parmi les nouvelles «septième merveilles du monde» par l'émission Good Morning América, sur la chaîne américaine ABC!Le Daily Nation, le plus important quotidien du pays, n'a fait ni une ni deux, tapissant sa une du samedi de cette seule nouvelle. On se félicitait de voir la réserve Maasai Mara, nommée «parmi les endroits les plus spectaculaires au monde».
Le lendemain, un éditorial venait cependant jeter une douche froide sur cette annonce. On prévenait le gouvernement des problèmes environnementaux provoqués par l'affluence de touristes actuelle et attendue. «Il faut contrôler le trafic humain dans le Maasai Mara pour sauver la faune», titrait-on.

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