Dans le parc d'Upsala, protégé par l'UNESCO. De nombreuses forêts sont brûlées pour faire place au soja.
OGM. Dans le Chaco, au nord du pays, les habitants sont dépossédés de leurs terres au profit de cette culture très rentable mais peu écologique.
Par Antoine BIGO
Liberation
QUOTIDIEN : Samedi 22 juillet 2006 - 06:00
Resistencia envoyé spécial
Sous les fenêtres du siège du gouvernement de la province du Chaco, une centaine d'Indiens des communautés Mocovi, Toba et Wichi campent sous des tentes de fortune. Vivant à la lisière de l'«impénétrable», une savane aride piquetée de bosquets et de lambeaux de forêt, ignorés, sinon oubliés par le pouvoir local, ils réclament plus de transparence dans l'attribution des terres fiscales de l'Etat. Alors que la constitution locale donne la priorité aux natifs du Chaco, ces terres sont vendues à de puissants groupes agro-industriels des provinces proches de Córdoba ou de Santiago del Estero pour y cultiver du soja transgénique. Ces quatre dernières années, dans le Chaco, 840 000 hectares de bois ont été brûlés pour céder la place à l'«or vert» qui couvre la moitié des 12 millions d'hectares de la surface plantée argentine actuelle.
Brasiers. La «sojisation» de la campagne chaqueña commence à une centaine de kilomètres à l'ouest de Resistencia, la capitale de la province. Des fumées au loin et une odeur de bois brûlé rabattue par le vent chaud indiquent la présence des «démonteurs». Une fois le bois précieux coupé et emporté, les bulldozers arrachent et empilent les broussailles, qui disparaissent dans de gigantesques brasiers. «Le scandale, c'est qu'aujourd'hui, le soja commence à empiéter sur les réserves écologiques et aborigènes parce qu'il ne reste plus de terres fiscales», accuse Raul Vallejo, un des géomètres de l'Institut de colonisation qui a dénoncé l'usurpation des terres. «La direction de l'environnement de la province n'a qu'un inspecteur pour surveiller quatre millions d'hectares. L'"impénétrable" est devenu un territoire libéré, totalement hors de contrôle, et où la moitié au moins des plantations de soja est illégale. Plus grave, l'armée de l'air a découvert plusieurs dizaines de pistes d'aviation précaires, évoque 500 vols clandestins par an, et le passage par le territoire du Chaco de 70 à 80 % de la drogue qui entre en Argentine», continue Vallejo.
La culture du soja transgénique est aujourd'hui si rentable que Walter Zanuttini, avocat de l'Institut aborigène chaqueño (IACH), n'hésite pas à invoquer une «mafia du soja» jouissant de complicités au sein des autorités locales, y compris de la justice. Le scandale, dénoncé par une poignée de fonctionnaires honnêtes de l'Institut de colonisation, a obligé le gouvernement du président Kirchner à réagir. Luis d'Elia, sous-secrétaire d'Etat à la Terre et à l'Habitat social, a pris la défense des aborigènes : «Je les ai encouragés à dénoncer pénalement l'attribution ou la culture illégale de terrains, et, parallèlement, j'ai offert au gouvernement du Chaco ma collaboration pour l'annulation des ventes qui ne respectent pas la loi.» Walter Zanuttini a recensé 5 040 plaintes qui concerneraient près d'un million d'hectares. L'Institut de colonisation s'est engagé à en prendre en considération 300, et vient d'annuler la vente de 10 000 hectares à une famille originaire de la province de Córdoba, 800 km plus au sud. «Les autorités locales tentent de justifier leur entorse à la loi en invoquant le retard culturel des aborigènes. Les Indiens du Chaco, vivant de la cueillette, de la chasse et d'un peu d'élevage, seraient incapables de mettre en valeur leurs terres», continue Zanuttini. Dans cette communauté isolée, le taux de dénutrition atteint 67 %, l'analphabétisme 60 % et l'indigence 92 %. La révolte actuelle a surgi lorsque des aides financières de l'Etat après des inondations catastrophiques ont été détournées par les maires des villages les plus touchés. Les glissements de terrain provoqués par le ravinement des sols ont isolé pendant un mois Tartagal, une ville de 70 000 habitants. «Si la déforestation continue à ce rythme, dans dix ans le Chaco sera un désert», avertit Raul Vallejo.
Prête-noms. Le scandale des ventes illégales de terrains est triple et débute par un négoce immobilier juteux. Les fonctionnaires véreux de l'Institut de colonisation aujourd'hui dans le collimateur de la justice vendent 45 pesos l'hectare (12 euros), à des prête-noms locaux, des terres qui sont proposées ensuite dans les journaux spécialisés entre 800 et 900 pesos (entre 230 et 260 euros). Les paysans locaux qui vivent sans titre de propriété sur ces terres depuis parfois plusieurs générations sont expulsés. Puis le défrichage est l'occasion d'abattre et de vendre les bois durs précieux (algarobo, quebracho, lapacho), dont la commercialisation est normalement interdite hors des frontières. Enfin s'installe la monoculture hautement mécanisée du soja transgénique, à coups d'engrais qui épuisent le sol. Qu'importe ! Le soja est très rentable. Non seulement pour le producteur, mais aussi pour l'Etat, auquel il apporte le quart de ses ressources fiscales. Une fois les coûts de production et les frais de transport déduits, les impôts payés, il reste à l'agro-industriel un revenu net de 85 euros par hectare. En Argentine, le soja transgénique, dont les cours sont portés par la demande chinoise, a encore de beaux jours devant lui.
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